Publié le 24.10.2023

Vous n’aurez rien vu venir

Théâtre Populaire Romand, La Chaux-de-Fonds

Denise est un spectacle qui essaye de démarrer, mais comment démarrer un spectacle ? Denise essaie d’aborder un sujet, mais comment aborder un sujet ? Non mais, est-ce que Denise se fout de la gueule des spectatrices et des spectateurs ? « Denise » est une pièce qui tourne autour du pot. Denise nous cache quelque chose, Denise nous manipule, du début à la fin, à la fin où, peut-être, tout prendra un sens.  

© Prune Simon Vermont – Camille Mermet en Denise
© Prune Simon Vermont – Camille Mermet en Denise

Denise est une drôle de femme. Pour commencer son spectacle (mais est-ce qu’il commence vraiment là ?) elle crie. Elle est dans le public, et on aurait pu penser d’elle qu’elle faisait partie du public. Pour elle, crier est un moyen de relâcher son stress, parce que oui, Denise est un peu nerveuse. Denise se présente, elle fait des blagues, essaie de faire rire son public, parfois ça marche, parfois ça tombe à l’eau, c’est-à-dire, on ne comprend pas toujours où elle veut en venir, mais elle s’excuse, elle est désolée, elle a bien conscience qu’on peut se sentir perdu, mais elle nous promet une chose, on va tout comprendre à la fin, ou alors, on devrait tout comprendre à la fin.

Le public ne sait pas dans quoi il s’est embarqué. Au début, il n’en fait aucun doute, c’est un stand-up, mais pourtant elle dit : ceci n’est pas un stand-up. Comment croire Denise, comment lui faire confiance ? Rien ne semble tenir debout, aucune ligne ne semble se dessiner. Elle s’adresse au public, l’engage dans ses blagues et ses gags, qui ont parfois presque un effet de clown. En tentant à tout prix de faire rire son public, elle passe du coq à l’âne sans faire aucun lien avec des thèmes qui n’ont, à priori, rien à voir les uns avec les autres. Denise ne semble pas organisée du tout, pourtant, elle semble vouloir nous raconter quelque chose de grand, de tabou, sauf qu’elle ne sait pas vraiment quoi, ni comment s’y prendre. 

© Prune Simon Vermont – Denise et ses apparences trompeuses
© Prune Simon Vermont – Denise et ses apparences trompeuses

Même si le travail sur le son et la lumière reste très minimaliste, la pièce sait en faire un bon usage pour obtenir un résultat d’autant plus convaincant et marquant. Denise défie le public, Denise joue sur la perception du public, sur ses préjugés, Denise provoque. Il n’y a qu’elle, pas de décor : une scène, un micro, une gourde, Denise et c’est tout. Attention, Denise interagit avec le public, elle y va de manière frontale, le public participe. Même si c’est très réussi, on peut se poser la question s’il ne faudrait pas avertir le public avant, pour que l’interaction se fasse de manière consentante.

Camille Mermet se lance seule dans ce spectacle qu’elle a conçu elle-même et écrit avec Sébastien Grosset. La confusion entre personnage fictif et personnage réel est ambiguë. En effet, il est difficile de tirer une ligne claire entre le personnage joué et l’actrice elle-même, soudainement elle dit : là, c’est moi qui parle ou tout ce que vous entendez est vrai, deux phrases qui ne cessent de revenir. Le flyer de la pièce précise que Camille Mermet raconte son vécu, celui d’une autre. Malgré cette indication, on a de la peine à se retrouver, qui parle ? mais plus la pièce avance, plus on prend conscience de sa tournure et plus on commence à faire des liens. Même les gags qui semblait pourtant assez pauvres et gratuits commencent à prendre un sens monumental. On n’a rien vu venir, on s’est bien fait rouler dans la farine, on s’est bien fait manipuler, mais manipuler dans le bon sens.

Avec sa pièce, Camille Mermet ne met pas seulement un sujet peu connu en lumière, mais elle questionne aussi le médium, à savoir le théâtre. Où commence une pièce, où est-ce qu’elle finit ? Quel est le rôle et la responsabilité d’une actrice ? Elle explore avec audace les limites et les frontières du théâtre afin de raconter son sujet aussi juste que possible. 

© Prune Simon Vermont – Le vécu d’une autre
© Prune Simon Vermont – Le vécu d’une autre

Il n’est pas question de révéler quoi que ce soit sur le mystère qui entoure Denise dans cet article, car c’est ici tout l’enjeu de la pièce. La pièce conçue par Camille Mermet fait preuve de grande intelligence et reste à la fois touchante. Même si au début, il est difficile de suivre et de comprendre Denise, Camille Mermet réussi, par son jeu d’actrice, à créer un personnage tout de suite attachant et intrigant du début à la fin, un personnage qui réussira à intéresser tout public. « Denise » est un spectacle profondément humain à ne pas manquer.



Denise, par Camille Mermet :

Du 10 au 12 novembre au Théâtre Benno Besson à Yverdon