Publié le 06.12.2023

Une amitié à faire pousser des ailes

Théâtre des Marionnettes de Genève

Le Cœur de libellules est la deuxième création de Martine Corbat produit par le Théâtre des Marionnettes de Genève. Ce spectacle met en scène deux nouvelles pour enfant de l’autrice valaisanne Corinna Bille dont les magnifiques personnages se verront doter de fils pour rejoindre la scène du TMG. Une petite danseuse rencontre un forain, puis un soldat et pour finir en beauté, une chanteuse cabossée avec qui elle se lie d’amitié. Bercées par la musique live de Sophie Solo et de son yodel, elles arpentent le sol du théâtre et le cœur du public.

© Carole Parodi – Sophie Solo qui accompagne l’araignée et le soldat à la guitare
© Carole Parodi – Sophie Solo qui accompagne l’araignée et le soldat à la guitare

Entre la course de l’Escalade et la prise d’assaut des stations de ski, les Genevois et Genevoises ont tout de même rempli la salle, pleine à craquer, du Théâtre des Marionnettes de Genève ce dimanche matin 3 décembre 2023. Et ils ont bien raison ! Ce spectacle d’une mag    nifique finesse nous réchauffe par un doux réveil. Pourtant, le froid valaisan n’est pas si loin. Martine Corbat, productrice, metteuse en scène et marionnettiste incarne l’autrice valaisanne Corinna Bille sur scène. Elle raconte, non seulement l’histoire d’une femme qui écrit des histoires, mais aussi celle de certains de ses personnages chéris. 

La Petite danseuse et la marionnette et La Vilaine Comédienne sont les deux contes choisis et adaptés par Martine Corbat. Mis ensemble, ils racontent l’histoire d’une petite danseuse qui peine à trouver sa place car sa petite taille la fait se sentir différente des autres. Un forain et son théâtre arrivent  dans le village où elle habite et la petite danseuse découvre d’autres êtres de sa taille : des marionnettes. Elle embarque alors avec la troupe et tombe amoureuse d’un petit soldat de fer. La danseuse découvre le triste sentiment de l’amour déçu. Heureusement, elle se lie d’amitié avec un autre personnage dont l’histoire est tout aussi touchante : la vilaine chanteuse bossue. 

Chez Corinna Bille, les personnages principaux sont féminins et c’est ce qui me touche dans son écriture. Elle donne la parole à des femmes intenses et rebelles qui questionnent leur place dans l’art et la société.

Martine Corbat, en entretien avec Irène Le Corre, mai 2023

Cette présence féminine est tout de suite mise en valeur par l’arrivée en musique des deux premiers personnages du spectacle, incarnées par des comédiennes : Martine Corbat d’abord, en tant que Corinna Bille et Sophie Solo à la guitare, en tant qu’instrumentiste et « bruitiste ». Elles se présentent de manière joyeuse et humoristique, ce qui dénote déjà leur future complicité. Tout cela se passe devant une sorte de drap foncé mystérieux qui masque le décor et le reste de la scène : suspense !

© Carole Parodi – Sophie Solo, Khaled Khouri avec devant lui un théâtre encore plus petit que son théâtre et Martine Corbat
© Carole Parodi – Sophie Solo, Khaled Khouri avec devant lui un théâtre encore plus petit que son théâtre et Martine Corbat

Vient le temps de dévoiler la première marionnette, la petite danseuse, qui sort comme par miracle d’une poche de Corinna. Autrement dit, la marionnette provient de la marionnettiste comme le personnage provient de son autrice. Dans son entretien avec Irène Le Corre, Martine dit à propos de Corinna Bille qu’« elle nous dévoile son attachement presque charnel, maternel, aux créatures sorties tout droit de son esprit, pour ne pas dire de son ventre. » Cette ambiguïté est bien mise en valeur par les choix artistiques de la mise en scène. La petite danseuse est sublime. Elle est réellement petite, ce qui n’enlève rien à la finesse de ses traits. Habillée d’une magnifique et longue robe rouge et noire, elle semble légère et aérienne, prête à s’envoler. Cette première partie de spectacle permet aussi à Sophie Solo de nous en mettre plein les oreilles en nous révélant ses différents instruments et ses bruitages rigolos. Du tonnerre au yodel, elle nous impressionne.

La deuxième marionnette arrive : le forain. D’abord animée par Corinna, celle-ci fait la dissimule derrière le rideau. Comme par magie, un être humain, interprété par Khaled Khouri, apparaît sur scène ; Il incarne, à la fois, le forain et le marionnettiste. Ce passage de la marionnette à l’être humain rend poreuses les frontières entre la fiction et la réalité, ou encore, entre l’animé et l’inanimé. Aussi, le double rôle du comédien-marionnettiste souligne déjà la dimension metathéâtrale du spectacle, assumée par le dévoilement du théâtre de marionnette du forain dans le théâtre de marionnette de Genève !


C’est à ce moment que le public découvre la beauté et la technique des marionnettes à fil, dont on a eu un aperçu grâce à la petite danseuse. Le théâtre du forain met en scène une énorme araignée qui a kidnappé une Amazone chanteuse. Manier les nombreuses articulations de l’araignée semble être un réel défi que le Khaled Khouri relève avec brio. En plus de cela, le personnage de l’araignée, quoiqu’un peu effrayant à certains moments, est hilarant. Tout à coup, un soldat plus ou moins muet, qui n’a que le bruit de son armure de fer pour parler, parvient à combattre l’araignée. S’en suit un merveilleux moment de danse et de chant afin de mettre la drôle d’araignée une dernière fois en valeur. 

La petite danseuse se fait engager dans le théâtre où elle rencontre le soldat. C’est la première fois qu’elle tombe amoureuse. Cependant, cet amour sera de courte durée, et une tragique désillusion prendra sa place. En effet, le soldat est vide et n’a pas de cœur. Il ne peut pas aimer. Vraiment ? C’est peut-être le seul reproche qu’on pourrait faire à ce spectacle. Dès le début, on nous convainc de la puissance de l’imagination et de la vie débordante des personnages. Ce soldat, peut-il vraiment être « vide », animé comme il est sur scène ? Il n’a même pas besoin de parler qu’on le comprend. On a presque l’impression que le spectacle se dépasse lui-même.

Si cette rencontre est ratée, c’est probablement pour rendre plus unique encore la magnifique amitié qui se développe entre l’Amazone chanteuse et la petite danseuse. Il s’avère que les deux jeunes femmes partagent la même angoisse, celle de se sentir différente, pas à sa place et jamais vraiment acceptée. Alors, elles s’unissent pour être plus fortes et s’encouragent, afin de s’envoler à l’unisson, telles deux magnifiques libellules. 

Un beau message de sororité, d’amitié et de tolérance adressé aux petit.e.s, mais aussi aux grand.e.s.



Le Coeur des libellules, par le Théâtre des Marionnettes de Genève :

Jusqu'au 20 décembre au TMG

Les 26 et 27 janvier 2024 au Théâtre de Grand-Champ à Gland

Le 10 mars au Théâtre de l'Echandole à Yverdon-les-Bains

Les 14, 15 et 16 mars à La Gare, arts et jeunesse à Monthey