Publié le 19.05.2023

Ode au tiramisu et autres instants de vie

La Spirale, Fribourg

Habitué de longue date de la Spirale, à Fribourg, Giorgio Conte vient régaler pour la huitième fois un public conquis de ses compositions douces-amères. La vie, l’amour, la nourriture, servis d’une voix patinée par les ans. Un moment hors du temps, à savourer sans chercher plus que le plaisir d’y assister.  

Lorsque j’arrive, la salle est comble. Je ne suis pas très en avance, faute aux ruelles enchanteresses de la basse ville de Fribourg et au soleil qui, après s’être fait désirer pendant des jours entiers, ne s’est montré que pour me narguer au moment de son coucher.

Il est maintenant 20h20 et la salle de la Spirale est plus bondée que je m’y attendais. Sous la voûte de pierres grises, une dizaine de rangées de chaises font face à une scène dont une bonne moitié disparaît sous un imposant piano à queue. Les spectateurs patientent, un verre à la main, décontractés, mais vigilants à ce qu’on ne leur pique pas leur siège. Après quelques essais, je m’installe au bar. De mon tabouret haut, la vue est toute aussi bonne.

A l’heure convenue, les lumières se tamisent. Entrent en scène, par la droite, quatre hommes qui paraissent immenses dans ce lieu resserré. Trois chemises noires, une quatrième rouge éclatante. Giorgio Conte prend place au centre avec sa guitare. Pour son huitième passage à la salle de la Spirale, l’artiste est venu accompagné de Bati Bertolio à l’accordéon, Alessandro Nidi au piano, Alberto Parone à la batterie et voix. La troupe s’installe, empoigne ses instruments et démarre sans une hésitation. Le thème de la 20th Century Fox ouvre le bal et annonce la couleur : ce soir, il y a juste à se laisser entraîner par les mots contés par le barde à la voix rocailleuse.

Le public tombe sous le charme, aux premiers accords : « J’aurais dû rester à la maison, fenêtres fermées, avec le chat » chantonne le poète. Bien que la tentation me parle, cela aurait été dommage, car la cave sombre au cœur de la vieille ville n’a rien à envier à la chaleur d’un foyer. Giorgio Conte instaure en un tour de main une ambiance intimiste, informelle et complice. Il raconte autant qu’il chante et joue. Parsème les entre-chants d’anecdotes, d’explications pleines d’humour, de références à sa vie, à l’amour et la cuisine.

Car, il l’avoue sans détour, ses deux thèmes de prédilection sont la nourriture et les femmes (ou les hommes qui se font quitter par les femmes, plus précisément). Il chante une ode au tiramisu, un plaidoyer anti-régime, le drame d’une femme partie acheter des cigarettes il y a bien trop longtemps. Il en fait des mélodies joyeuses, des airs entêtants, siffle des mantras sans paroles que le public est invité à s’approprier.

Les musiciens, un peu en retrait, prennent petit à petit de l’épaisseur. Regards, sourires, relâchement des postures. Les trois chemises noires se retrouvent à un moment tout au bord de l’estrade, entre public et piano, à accompagner leur meneur d’une chorégraphie légère et de claquements de main. Il s’agit d’une chanson sur un champion italien d’apnée, car Giorgio Conte explique que tout parolier italien qui se respecte doit avoir au moins un morceau dédié à un athlète national. La dérision, à nouveau, emporte sans peine le public dans cette improbable composition.  

De jazz et de prouesses musicales, je ne saurais vous parler. Premièrement car mes modestes connaissances en la matière ne me le permettraient pas. Mais avant tout, parce que l’homme et ses paroles dominent la scène et le public avec force et éclipsent le reste. La voix rocailleuse qui slalome entre italien et français nous emporte le long d’une rivière au creux d’une forêt apaisée. On a envie de s’y étendre, de contempler la vie, de profiter du moment. Sans se poser trop de question, sans heurts et sans bruits inutiles.

Alors c’est ce que je fais. Je ferme mon cahier de notes. Je baisse un peu les yeux et je me laisse entraîner, tranquillement, au son d’une langue qui sait réchauffer les cœurs. 

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