Publié le 16.05.2023

Enfance paysanne

La Grange, Lausanne

Dans un seul en scène intense et drôle, Coline Bardin rend un hommage poignant au milieu paysan dans lequel elle a grandi. Après Lausanne, le spectacle aux accents tchekhoviens sera notamment en tournée à Genève, Nyon et Yverdon-les-Bains.

© Nicolas Brodard
© Nicolas Brodard

Le public prend place sous les poutres de La Grange, le théâtre de l'Université de Lausanne, qui fut anciennement une étable et un lieu pour garder le foin. Un cadre idéal pour le solo de la Française Coline Bardin. Alors que les lumières s'éteignent, on entend la pluie tomber et le vent hurler. Nous sommes plongés dans l'obscurité totale d'une nuit froide et hostile. Une silhouette surgit du fond de la salle. Munie d'une lampe frontale, l'ombre cherche apparemment quelqu'un ou quelque chose. Après avoir fouillé tous les recoins du théâtre, le personnage lance « Vous avez pas vu une vache ? ». Les premiers instants de La Mâtrue – Adieu à la ferme, que nous avons pu voir le 11 mai, sont à l'image du spectacle, à la fois drôles et un peu terrifiants.

Le terme mâtrue désigne en patois la petite dernière de la famille. C'est le cas de Coline Bardin qui a grandi dans une ferme de la région de Grenoble. Dans cette autofiction, elle rend hommage à la vie paysanne telle qu'elle l'a connue, celle des exploitations à taille humaine où cultiver la terre et élever des animaux ne s'apparente pas à une activité industrielle ; celle où les animaux n'ont pas un numéro mais un nom.

© Nicolas Brodard
© Nicolas Brodard

Pour rendre compte de cette ruralité, l'actrice évoque son enfance. Elle explique au Quatrième Mur se souvenir qu'une fois, son père devait réveiller toute la famille en pleine nuit car les vaches s'étaient enfuies de leur étable. « On devait se lever, s'habiller en hâte et descendre les escaliers à quatre heures du matin. Il nous donnait à mon frère, à ma sœur et à moi un bâton et une lampe, et il fallait retrouver les animaux. »

Le seul-en-scène est formé d'une dizaine de tableaux qui s'articulent autour du moment de la vente de la ferme familiale. La comédienne joue les personnages (et les animaux) qui forment le microcosme dans lequel elle a grandi : sa mère, chaleureuse et bavarde, son père, qui aime observer les étoiles et qui aura mis bas durant sa vie plus de mille veau. Il y aussi les voisins, les cousines qui vont à la fête de campagne, et surtout Marcus, un ami de la famille qui croit dur comme fer aux extraterrestres…

Quand on lui demande comment on passe de la ferme à la scène, Coline Bardin explique qu'à quatorze ans, elle a dû vivre en internat pour suivre le lycée car leur exploitation était trop éloignée. Elle y a découvert le théâtre dans le cadre d'un atelier. « J'ai ensuite fait plusieurs écoles, au Canada, à Lyon, ainsi que des études de lettres à Paris pour finalement intégrer le Bachelor de théâtre à la Manufacture de Lausanne. Comme travail de diplôme, les étudiants préparent un seul en scène. La période, explique-t-elle, coïncidait avec le moment où mes parents ont vendu la ferme pour prendre leur retraite et j'ai décidé de faire mon solo sur cet événement. » 

© Nicolas Brodard
© Nicolas Brodard

Son projet fait ainsi écho à La Cerisaie. La pièce d'Anton Tchekhov est, elle aussi, centrée sur la vente d'une propriété qui fut pour les protagonistes leur chez-soi, leur enfance, leur vie. A un moment, Coline Bardin en reprend même quelques lignes, quand elle fait dire à Marcus, cet ami de la famille : « Vous êtes nés ici. C'est ici que vous avez grandi, c'est ici que vous avez vécu. J'aime cette maison. Je ne comprends pas ma vie sans la ferme. S'il faut la vendre, vendez-moi avec ! » La comédienne nous confie à quel point l'étude des textes de Tchekhov était importante pour elle et affirme que « nous avons finalement toutes et tous une cerisaie en nous, un lieu ou quelque chose lié à notre enfance ou à notre jeunesse et dont on doit se séparer. » Bien qu'autobiographique, le spectacle incarne ainsi des situations et des thématiques qui ont une portée universelle.

Comme les comédies de Tchekhov, La Mâtrue est une pièce qui parvient à être à la fois drôle et sérieuse. Cette suite de sketchs forme ainsi un tout cohérent qui témoigne d'une démarche artistique aboutie, originale et surtout accessible, c'est-à-dire loin des productions théâtrales contemporaines souvent très conceptuelles. Le projet, sélectionné pour représenter la Suisse à Avignon en 2022, marque ainsi pour Coline Bardin le début d'une carrière professionnelle prometteuse. L'artiste, qui a rejoint la structure de soutien aux arts dramatiques L'Abri, à Genève, a d'ailleurs d'autres idées en gestations… A plusieurs, cette fois.



La Mâtrue - Adieu à la ferme, par Coline Bardin :

Du 25 juillet au 4 août 2023 au Théâtre de l’Orangerie à Genève


Du 12 au 14 août 2023 au Far° à Nyon


21 au 23 septembre 2023 au Théâtre de la Cité Internationale à Paris


12 mars 2024 au Siroco à Saint-Romain de Colbosc (France)


23 mars 2024 à L’Échandole à Yverdon-les-Bains