Publié le 03.08.2023

D’être artiste et mère

far°, festival des arts vivants, Nyon

Rapprocher le travail artistique et le travail de soin, c’est la mission que s’est donnée art+care, un organisme suisse aujourd’hui en pleine expansion. Le groupe tente de répondre aux pressions exercées sur les jeunes parents, le plus souvent des mères, dans le secteur de l’art. Retour sur une discussion avec l’une des fondatrices de art+care, la comédienne et performeuse Nina Langensand.

© Claudia Schildnkecht – Isabelle Mauchle et Nina Langensand écrivent et effacent différents mots sur le mur, dans une métaphore de la pluralité des paroles et des vérités.
© Claudia Schildnkecht – Isabelle Mauchle et Nina Langensand écrivent et effacent différents mots sur le mur, dans une métaphore de la pluralité des paroles et des vérités.

Démystifions d’emblée les qualités nécessaires à la réalisation d’une carrière artistique. Le talent ? Certes. Mais on parle encore trop peu de toutes ces conditions invisibles qui facilitent ou entravent la profession d’artiste. Qui s’occupe des tracas quotidiens - qu’il s’agisse de la gestion des rendez-vous, de l’approvisionnement en nourriture, du ménage, mais encore et surtout de l’administration de soins, qu’ils soient d’ordre psychologique, émotionnel ou physique ? Bingo ! Ce travail, communément appelé « care » en anglais, est encore largement réalisé par les femmes (ndlr : dans le sens d’une catégorie construite socialement, historiquement et politiquement), sans rémunération ni reconnaissance aucune, et profite aux hommes d’un côté, en desservant les femmes de l’autre.

Et d’ailleurs, pourquoi faut-il absolument jouir des meilleures conditions possibles, afin de se consacrer corps et âme dans un métier artistique, pour avoir une chance de vivre de son art ? Pourquoi cette injonction forcée de choisir entre métier et vie, deux entités qui pourraient coexister et non s’opposer telle une dichotomie irréconciliable ?

C’est à partir de ces questionnements que Nina Langensand et Mirjam Berger décident de fonder en 2022 art+care, un organisme tentant de concilier le travail de soin et le travail artistique. L’idée est d’abord de créer une communauté, afin de partager les différents vécus et de soulever la conscience d’une injustice commune. Dans un deuxième temps, il s’agit d’améliorer les conditions de vie de ces personnes travaillant à la fois comme porteuses de soin, à la fois dans le milieu de l’art. Le groupe se réunit régulièrement via la plateforme zoom, pour des rencontres ouvertes à tous les genres.

© art+care – Pamphlet manifeste de art+care, avec les différentes revendications du groupe
© art+care – Pamphlet manifeste de art+care, avec les différentes revendications du groupe

Malgré la mixité choisie du programme, le groupe ne compte qu’une poignée d’hommes cisgenres, note Langensand. Cela témoigne de l’inégalité de genre encore indéniable face aux pressions liées au travail de soin. La comédienne donne un exemple édifiant : la même phrase « je dois partir plus tôt de la répétition aujourd’hui, car je dois chercher mes enfants à la crèche », selon qu’elle est prononcée par un homme ou une femme, produit d’une part l’admiration, de l’autre un agacement.

En plus de ces partages, le collectif met en place divers projets. Il était notamment présent lors des manifestations féministes, distribuant des tracts écrits à la manière d’un manifeste. En outre, ses membres travaillent à élaborer un vocabulaire de résistance comme outil contre les « mais tu es sûre que tu vas y arriver toute seule ? », les « dommage que tu aies eu un enfant tu aurais fait une belle carrière ! », et autres remarques déplacées du genre.

« Where is your partner », le titre du dernier spectacle proposé par ultra - compagnie dont fait partie Langensand - est d’ailleurs tirée d’un commentaire lancé par un membre du public lors d’une représentation. « Où est votre partenaire ? », renvoi désagréable à la vision ancestrale de la femme comme intrinsèquement liée à un parent, que ce soit son père, son frère ou son mari. Pour cette pièce, ultra applique dans son organisation différentes méthodes de travail dignes des revendications de art+care : le 100% habituel de travail correspond à 4 jours de travail par semaine, un budget alloué aux soins est inclus dans la production, et les deux hommes de la troupe pratiquent le retrait solidaire, c’est-à-dire qu’ils s’occupent entièrement du travail de soin, et sont absents des feux du projecteur au profit des femmes.

© Françoise Caraco – Portrait de Nina Langensand
© Françoise Caraco – Portrait de Nina Langensand

La pièce parle de violences conjugales, mais aussi des structures patriarcales qui permettent ces violences. Non, cela n’a pas lieu que dans les milieux défavorisés, et non, ce ne sont pas une poignée d’hommes qui perdent le contrôle un instant. Ce que le spectacle pointe du doigt, c’est qu’il s’agit bien de notre système dominé par les hommes, ayant tout intérêt à conserver leur position dominante, qui est la cause du nombre aberrant de violences domestiques subies par les femmes.


A découvrir tout prochainement au far°, festival des arts vivants Nyon.



Where is your partner par la compagnie ultra

Les 10 et 11 août au far° à Nyon

Les 23, 24 et 25 novembre à Berne, Schlachthaus Theater

Les 6 et 7 décembre à Birsfelden, Roxy Theater


Le vendredi 11 août, une rencontre avec l’équipe artistique et Anne Lanfranchi (association AVVEC – Aide aux victimes de violences en couple) sera tenue à l'issue de la représentation.