Publié le 04.10.2023

Attention aux hérissons

Pantographe, Vevey

Une piqûre, aussi minime soit-elle, peu mener à la pire des infections. Amour, amitié, travail : Bernard emporte tout dans une obsession maladive déclenchée par un bête conflit d’agenda.

© André Capel
© André Capel

Le club auquel appartient Adrien n’a qu’une règle, mais elle est incontournable : se retrouver pour manger ensemble chaque premier jeudi du mois. Celui qui y déroge se fait tout simplement exclure du club. La porte se referme. Histoire classée.

Ce qu’est ce club, qui en sont les membres, sur quels critères sont-ils choisis ? Tout cela n’est pas bien clair. Adrien admet juste qu’ils s’appellent entre eux « les hérissons » et portent une cravate en signe de reconnaissance. Rien de plus. Mais le fait est qu’Adrien y tient et commet la bêtise d’avouer à son associé et ami Bernard que c’est pour dîner à ce club qu’il manquera sa fête d’anniversaire.

Et là, c’est le drame. Comme un amant trompé, fou de jalousie, Bernard plonge dans une spirale infernale et entraîne tout avec lui dans sa peur ridicule d’être exclu de la vie d’Adrien. Sa femme, ses enfants, son travail, sa fierté : rien ne résiste à ce besoin viscéral d’inclusion qui l’envahit.

© André Capel
© André Capel

Touchant et irritant, à la fois hautement cérébral et totalement irrationnel, le personnage de Bernard est porté très physiquement par Arnaud Bath’m’wom qui, au-delà des mots, fait parler son corps tout entier. Chemise ajustée pour contenir le jeune quadragénaire épanoui. Chemise souillée de vomi suite au séisme que provoque la trahison de son ami. Chemise abandonnée, bedon à l’air et torse poilu, seuls rescapés du naufrage. Retour à la chemise ajustée finalement, mais pleine à craquer de folie cette fois, transpirante, collante, inconfortable…

Et face à ce personnage engoncé : Olivier Lambelet qui porte avec brio un Adrien lumineux et attirant. Cheveux ébouriffés, col ouvert et relevé sous un veston classique porté avec désinvolture. Il est le séducteur, il est le vendeur, il est celui qui se fait aimer sans avoir rien demandé. Il est également celui un peu trop désinvolte, qui ne maîtrise pas totalement la passion qu’il suscite et se retrouve pris au piège dans les sentiments lourds d’un Bernard déstabilisé.

C’est un beau duo de comédiens qui nous conte cette histoire d’une amitié déséquilibrée qui perd pied. Le public est embarqué, sent la tension qui monte, devient étouffante dans cette petite salle idéalement mal ventilée. Les acteurs sont grands, la scène est petite. Le bruit de la machine à café et l’odeur des tasses qui s’enchaînent. Le décor du cabinet qui évolue au gré de la relation d’Adrien et Bernard. Sous la direction d’Antony Mettler, la mise en scène est efficace et souligne le drame qui se prépare et dont les spectateurs attendent qu’il éclate. 

© André Capel
© André Capel

Alors, petit bémol de cette pièce autrement bien maîtrisée, le coup de tonnerre n’est pas tout à fait à la hauteur des attentes si bien construites. La faute peut-être à quelques longueurs du texte sur la fin de la pièce, ou à des rebondissements trop nombreux qui étouffent le fracas d’une rupture finale et sans retour. Un petit goût d’inachevé qui transparaît dans les hésitations du public au moment de saluer le tableau final par leurs applaudissements.

Qu’à cela ne tienne ! Cravate Club est une pièce à voir, qui tient son public éveillé et intrigué, portée par des acteurs talentueux et agréablement mise en scène. De plus, le Pantographe sent bon le neuf grâce à des restaurations conséquentes menées de 2017 à 2022. Un beau décor pour une fable sur la trop humaine déraison, ou quand trébucher sur un hérisson vous mène à la fin du monde. 



Cravate Club, mis en scène par Antony Mettler :

Jusqu'au 15 octobre au Pantographe à Vevey